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Sean Landers et le récit pictural de soi

Sean Landers est un artiste conceptuel américain qui se livre à une sorte d'autofiction picturale empreinte de mélancolie, de dérision et d'un humour constant

Sean Landers et le récit pictural de soi

« All my work is a tree and writing is the trunk of that tree and the branches are all the various series I have made. All of it, every seemingly ‘out of left field’ series de-rives from writing—the trunk—in some way. » - Sean landers

Sean Landers, l'artiste conceptuel américain, se livre à une sorte d'autofiction picturale empreinte de mélancolie, de dérision et d'un humour constant. Sean l'individu narre Sean un homme de son temps, un artiste en outre, préoccupé, dans un immense éclat de rire sarcastique, par ce qui préoccupe ses contemporains, Son Moi ! Ou l'image de son moi, ou encore... A l'infini. A l'instar de ces troncs de bouleaux marqués de graffitis narrant Sean et ses réflexions, celle de l'artiste ou de l'individu et sa représentation, sa persona répétée à l'infini, en écho.

Sean Lander
© Sean Landers Parenthetical 2017.

Sean Landers et Darwin

Dans le système darwinien imaginé par Sean Landers toutes les hybridations sont possibles aussi bien en termes de contenu que de medium. Cependant l’artiste (conceptuel) déclare que l’écriture, comme récit ou acte d’écrire, est son moyen d’expression non seulement privilégié, mais surtout compulsif.

C’est pourquoi chaque peinture, sculpture ou installation vidéo est avant tout pour lui une écriture, un message qui parfois ne se considère que lui-même. Le contenu central reste néanmoins Sean et lui-même, Sean celui qui sous divers masques et persona apparait comme ligne conductrice du récit pictural plus ou moins elliptique.

L’écriture essaime tout, jusqu’aux hybridations improbables les plus invraisemblables mais toujours signifiantes.

Il y a les notes, les notes cursives, les annotations et les séries comme autant d’histoires, anecdotes, références.

Cette peinture des idées, des bonnes idées, voire des gags visuels, doit évidemment beaucoup à Magritte, que Sean Landers dans la série des tributs aux maîtres de la peinture, mais aussi aux clowns (ce n’est pas un hasard), représente sous les traits d’un diable ou encore d’un clown aux cornes diaboliques.

Sean Landers
© Sean Landers. Devil (Magritte) 2003.
Sean Landers
© Sean Landers. Double Magritte 2003.

L’ensemble de l’œuvre est donc comme une longue série de notes autobiographiques plus ou moins fictionnelles. Un double qui agit comme un miroir. Il y a chez Sean Landers de très nombreux narcisses qui se perdent dans leurs reflets, ou encore des Pygmalions fascinés par leur propres créations. Ces doubles sont également des interlocuteurs avec lesquels Sean l'artiste interagit. L'artiste avoue que ses doubles picturaux imposent fréquemment leurs propres récits. D’autant plus qu’ils sont plus libres, plus forts, plus puissants que son créateur. Ils constituent les fugues où l’artiste n’ose pas lui-même s’aventurer. Une fugue c’est une fuite, une succession d’épissures générées par une même série de notes. L’œuvre de Sean Landers est en contrepoint. Elle rebondit d’un médium à l’autre, d’un motif à un autre, d’un avatar l’autre.

Sean le Second, l’œuvre engendrée par la personne de l’artiste, a sa propre énergie. Elle échappe à son « créateur ». Cette fugue est une œuvre polysémique, polyphonique. Elle est aussi un paravent libérateur où se cacher ou se révéler par intermittence.

Plank Boy (Pygmalion, 2019)

Le double dérisoire de Sean Landers, en Narcisse, Pygmalion ou Icare. Une piètre figure de Pygmalion fasciné par sa création, lui-même grossièrement façonné par l'artiste. Le plasticien américain oscille entre empathie, cristallisation et sarcasme !

Stream of consciousness

L’œuvre plastique de Sean Landers est comme les grands romans du « courant de conscience » tels qu’ils ont été initiés par Virginia Woolf ou James Joyce. Le « stream of consciousness » est le flot qui charrie les éléments graphiques qui se bouturent comme les rhizomes d’un arbre gigantesque aux ramifications imprévisibles, complexes, croisées.

« I had a different story to tell, not one about contemplating a crime but con-templating being an artist and transforming myself from the general populace into one of these ostensibly special people. » - Sean Landers

Cette méthode récursive sur la création qui se créer en s’observant dans un mouvement sans fin et polysémique permet en quelque sorte d’écrire une histoire bouclée sur elle-même qui n’est ni discursive, ni psychanalytique, mais comme une sorte d'auto-génération mue par les épreuves réelles, les expériences et une forme de jouissance à ingérer tout cela dans un flot continue et hétérogène, profondément hybride, voire trouble.

Shut Up and Paint, 2005.

L'artiste confronté à sa logorrhée, le nœud gordien du processus créatif !

Narcisse et le fait social

L’entrelacement complexe entre le narcissisme et un regard sur soi distancié est probablement ce qu'il y a de plus fascinant chez Sean Landers.

En effet, l’artiste s’il ne cesse de nous faire part de ses notes personnelles, c’est la plupart du temps avec une certaine dérision, une mise à distance par l’humour ou le sarcasme. D'ailleurs les titres sont dans la majorité des cas des épigrammes. Le retrait sémiotique et signifiant sont si importants que la facture picturale est pour ainsi dire secondaire. Il n’y a pas d’expressivité subjective de soi. Pas d’artiste démiurgique ici. Pas de style singulier. Des styles appelés par le contenu, dans le plus parfait éclectisme postmoderne.

Si Sean Landers « parle » de lui c’est par le contenu, le sujet, très peu par la manière. On est très éloigné de la peinture moderniste, en particulier de l’expressionnisme abstrait ou figuratif. C’est bien de l’Art Conceptuel.

Sean Landers
© Sean Landers. Plankboy (Narcissus) 2019.

The Urgent Necessity of Narcissism for the Artistic Mind (Jaguar) 2014.

Narcisse et ses avatars, ceux de Sean Landers, qui agrémente son auto-fiction picturale d'un graffiti ironique : "SEAN, je t'aime. Je m'aime."

Sean Landers
© Sean Landers. Narcissus 2006.