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Gerhard Richter, série vénitienne

Gerhard Richter dans la série consacrée à Venise donne une sorte d'image concentrée de sa carrière où l'essentiel est la surface picturale

Gerhard Richter, série vénitienne

Gerhard Richter, peindre Venise

Tables des matières :


Pop Art et Minimalisme

Gerhard Richter, bien que tributaire du minimalisme et du Pop Art, n’a jamais fait du centre de son travail un décodage des signes à l’avenant du Pop Art qui ne représente pas mais décrypte, hybride, déracine, les codes de la société consumériste. C’est encore plus vrai des post Pop Art qui collent, mixent ou commentent, voire illustrent dans les cas les plus désespérés, notamment dans le registre de la peinture figurative (Bad Painting, Figuration Libre, Figuration Narrative, Trans-avangardia, et nombre de jeunes peintres contemporains).

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© Gerhard Richter, Strip.

Le minimalisme, dans son scepticisme radical à l’égard de la représentation et de la main de l’artiste, tente de réduire de manière quasi idéaliste les moyens de l’expression artistique. Or Richter, de ce dernier mouvement, retient surtout l’anti subjectivisme, une méfiance profonde pour le pathos, la sentimentalité et un rejet complet des dernières dépouilles esthétiques telles que le point de vue, la facture, le choix averti de l’artiste en somme toute forme de valorisation du sujet, dans sa valeur interne supposée comme dans sa mise en valeur par les effets de style.

Les débuts de Gerhard Richter sont donc profondément marqués par le désir méthodiquement canalisé de ne pas être personnel, équilibré, expressif. C’est là, aussi un sentiment qu’il partage avec son époque : le rejet de l’expressionnisme dans ses dérives idiosyncrasiques.

Sauver la peinture

Le paradoxe est, que malgré cette approche sceptique à l’égard de la figuration, Richter continue de croire à l’intérêt de représenter. Ou plutôt, il est intimement convaincu de la validité de la Peinture comme médium de représentation sinon de figuration. Pour lui, comme pour tous les successeurs de Dada et Duchamp, il est admis que la peinture au même titre que d’autres moyens de représentation n’est pas une fenêtre sur le monde. Cependant cela n’invalide pas, selon lui, l’idée que le pictural est un langage possible pour évoquer notre approche du réel.

C’est d’ailleurs pourquoi, avec une bonne dose d’ironie, Richter ne cessera de dire que du point de vue de la relation au monde la photographie est supérieure à la peinture. De là naitra le Photo Painting qui reproduit une photographie dans l’indifférence complète au sujet. Ce que Richter reproduit ce n’est pas la figuration du réel mais une photographie pour sa qualité de surface où s’imprime de manière contingente une image des choses.

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© Gerhard Richter. Venedig, (Insel), 1985.

La surface du réel

On en vient alors au centre de l’activité du peintre allemand, ce qui l’intéresse, au même titre que certains peintres abstraits ou minimalistes, n’est autre que la surface elle-même dans sa capacité à fixer une image bien spécifique, qui n’est pas le réel en image, mais l’image elle-même dans la finesse de son plan de projection du travail du peintre qui en l’occurrence n’exprime rien. Richter ne se préoccupe que de l’interface, c’est pourquoi il peint comme le ferait un appareil photographique, mécaniquement, pour mieux tenter de capturer les qualités si étranges de la surface picturale. Mais Richter, aussi méthodique soit-il, n’est pas dogmatique, car malgré ce programme très ténu dans son objet et immensément vaste dans ses développements possibles, ne s’interdit jamais des écarts qui peuvent donner l’impression que le corpus est complètement hétérogène.

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© Gerhard Richter, Bomber, 1963.

C’est ainsi qu’il ne cessera jamais d’aller simultanément de la figuration à l’abstraction et inversement, pour lui le sujet est exactement le même, car le problème n’est pas ce qui est représenté, mais comment il est possible qu’une image se fixe sur la surface et ce qu’elle dit de la relation au monde comme langage (visuel).

Mais, même dans cette démarche continue aux dérivations protéiformes, Richter s’autorise des contradictions fructueuses. Ainsi les séries sur la bande à Baader dérogent en apparence à l’idée de ne pas avoir de sujet, ni d’affect pour ce qui est représenté. Il avoue lui-même avoir éprouvé de l'empathie pour la mort absurde et terriblement solitaire d’Ulrike Meinhof.

Or l’effacement progressif des portraits de Ulrike Meinhof, du sujet donc, étendue morte après son suicide supposé, montre précisément à quel point Richter est cohérent et qu’il poursuit obstinément l’étude de ce qu’est la représentation en créant une distance proprement picturale relativement au motif pour s’abîmer obstinément dans la fine pellicule du plan de projection.

La disparition d’Ulrike Meinhof dans les flous de plus en plus intenses et les gris toujours plus échelonnés manifeste la stupéfaction, et l’empathie qui s’étiole dans une figuration en délitement. L’émotion n’est donc pas systématiquement absente du travail de Richter, tout du moins dans ce qu’une image peut faire advenir de présence des choses et des êtres, ou quand l’homme cède à son voyeurisme interloqué pour la mort, le sexe, la guerre, l’horreur et le monstrueux. La fascination pour ce qui ne peut être dit, ce qui ne peut être rendu intelligible, mais que la peinture, selon l’artiste, peut rendre visible.

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© Gerhard Richter, Tote, 1988.

Le visible, l’Histoire et les sentiments

Autre chemin de traverse que le peintre emprunte à maintes reprises, une certaine forme apparente de sentimentalisme et d’historicisme notamment quand il aborde les sujets à connotations intimistes tirés de photographies personnelles en particulier, Eisberg et Venedig en sont de bons exemples. Dans les deux cas Richter se situe ouvertement, par le truchement d’une photo banale, dans la perspective de l’histoire de l’art, en particulier le romantisme allemand mais aussi Turner et les peintres italiens de la lumière.

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