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Ron Mueck et le Caravage L’incrédulité de Saint Thomas

Ron Mueck et le Caravage. L'incrédulité de Saint Thomas, dans son œuvre Youth Ron Mueck se confronte aux grandes références de l'histoire de l'art

Ron Mueck et le Caravage L’incrédulité de Saint Thomas

Youth (Ron Mueck) et l’incrédulité de Saint Thomas (Le caravage)

Ron Mueck dans son œuvre « Youth » représentant un jeune afro-américain stupéfié par la découverte de sa blessure fait implicitement référence au tableau du Caravage mettant en scène la stupéfaction de saint Thomas face à la résurrection du Christ.

Le jeu des références

Ron Mueck est coutumier du fait, et joue souvent de références picturales religieuses. Parfois cette évocation des grands sujets, de la peinture renaissante en particulier, prend un tour parfaitement ironique et désabusé. C’est le cas dans l’œuvre représentant un quinquagénaire se prélassant sur matelas pneumatique et adoptant la position d’un crucifié que Ron Mueck prend un malin plaisir à épingler au mur, tel un bibelot dérisoire.

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Le Caravage. L’Incrédulité de saint Thomas, huille sur toile. Vers 1603.

Continuité et rupture

Cependant dans le cas de ce jeune noir, au visage candide et doux, perplexe devant sa blessure, on peut supposer que Ron Mueck ait voulu dire autre chose. C’est la continuité et la rupture qui frappent le spectateur dans cette référence implicite au tableau du Caravage.

La continuité de l’appareil culturel sans aucun doute, le dialogue des œuvres par delà les époques, mais aussi et surtout l’étrangeté surprenante de cette filiation. Ou comment une œuvre décrivant un quotidien désenchanté et soumis au matérialisme écrasant de la modernité rejoint, dans l’observation de la « misère » des individus isolés, la volonté qu’avait Le Caravage d’introduire dans son œuvre la réalité de l’homme en le représentant sans idéalisation.

Le « réalisme » du Caravage

On voit apparaître chez Le Caravage deux préoccupations majeures : le jaillissement de la lumière, qui fige l’action, et le réalisme cru, sans idéalisation, de la représentation des individus. Le profane s’immisce en quelque sorte dans les sujets édifiants tirés de la Bible.

C’est ce goût du prosaïsme, de la condition de faiblesse de l’individu, qui rapproche probablement les deux œuvres.

A savoir, l’inclination plus ou moins équivoque pour la misère des chairs et de l’homme chez Le Caravage.

L’absurdité plate, banale, quotidienne des individus dans nos sociétés modernes chez Mueck. Un abîme sépare cependant les deux artistes.

Le jeune homme blessé, que représente Ron Mueck, n’a en effet d’incrédulité que face à l’absurdité de l’éventualité de sa propre mort, sans espoir de résurrection. Tandis que Le Caravage représente dans son travail le mystère de la foi, revisité par l’esprit d’une religiosité plus proche de la réalité.

L’action arrêtée

Une autre particularité du Caravage est de figer l’action dans un éclair lumineux faisant émerger ses personnages de l’ombre comme dans une forme de révélation brutale et éphémère. Un peu comme un instantané photographique, de surcroît au flash, fige l’action de manière acérée et théâtrale. Cette mise en scène quasi cinématographique unit les deux artistes. C’est un des aspects saillants du travail de Ron Mueck – d’ailleurs issu du cinéma – que de représenter les hommes comme échappés d’un film, d’un drame cinématographique, surgissant dans un réel sans échelle, ou hors d’échelle précisément. Plus que de sculptures on pourrait parler chez Ron Mueck de mise en scène. Le « spectateur » ne regarde pas une forme sculpturale, il est plus le voyeur d’une scène intime.

Ron Mueck,
Ron Mueck, « Dead dad », 1996/97.

Le détail

Un autre point sur lequel se rejoignent Le Caravage et Mueck est le goût du détail réaliste sans complaisance. Le Caravage peint « les choses et la résonance des choses » par un luxe de menus détails hyperréalistes. Par cette absence de toute idéalisation Le Caravage tente de retrouver la vérité des objets et des êtres. Ce « vérisme » n’est cependant jamais dédaigneux. Il y a bien plutôt une espèce de reconnaissance et de bienveillance à l’égard des humbles, et de l’écrasante fragilité de l’individu.

Or, on a envie de dire la même chose des œuvres de Mueck car malgré la véracité des détails et la ressemblance extrême des sujets, la confusion avec un être de chair n’est jamais possible. Nous ne sommes donc pas dans l’imitation brute, le musée Grévin, mais dans une sorte d’interprétation paradoxale puisque que la technique est celle de l’hyperréalisme. Ce qui interdit cette confusion c’est que Mueck saisit un instant précis, qui est sa vision du monde.

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Epiphanie

Son hyperréalisme n’est pas un miroir, mais comme chez Le Caravage, un instantané saisi depuis un point de vue particulier et qui, à l’inverse de la photographie de rue, est le fruit d’un long travail de réflexion et de préparation (esquisses, modèle en argile, etc). Il semblerait donc bien que le souci de Mueck soit aussi, à l’instar du Caravage, de rendre compte du sentiment du sacré de la vie – de son miracle tout au moins – qu’il incarne dans la représentation d’un individu souvent accablé par sa condition sociale. Ron Mueck est un humaniste désenchanté.

Pour autant, il ne faut tout de même pas perdre de vue une dimension ironique de ces rapprochements avec les grandes œuvres que Ron Mueck semble affectionner.