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La Nouvelle Vision, des années 20 & 30

La Nouvelle Vision est le pendant français de la Nouvelle Objectivité allemande et la Straight Photography américaine. Elle exprime dans la lignée du Bauhaus une confiance renouvelée dans la modernité et le progrès

La Nouvelle Vision, des années 20 & 30

Article modifié et augmenté le 1° mars 2024.

La Nouvelle Vision, l’ivresse moderniste

La Nouvelle Vision est un mouvement artistique initié en Allemagne avec la Nouvelle Objectivité (Neue Sachlichkeit, voir notre article sur Albert Renger-Patzsch) et en France sous le terme de « Nouvelle Vision » qui, s’opposant à l’art bourgeois néoclassique et postromantique, poursuit l’expressionnisme et le dadaïsme mais avec un nouvel optimisme et une confiance renouvelée dans la modernité.

En photographie l’arrivée d’appareils photographiques portables tel que le Leica et le Rolleiflex ouvre de nouvelles perspectives créatives s’opposant notamment au pictorialisme, aux cadrages frontaux et à hauteur d’œil succèdent donc les cadrages désaxés, en plongée ou contre plongée, en mouvement, sur le vif et exaltant la vie moderne collective ou intime.

Jean Moral
Jean Moral

La Nouvelle Vision, les années folles et les joies du Leica

Parmi ce renouveau de la photographie à l’échelle mondiale on peut distinguer un certain nombre de photographes français. Si la « Nouvelle Vision » ou la « Neue Sachlichkeit » à la française est moins homogène et constituée qu’en Allemagne, on peut cependant relever des points communs, qui par opposition au pictorialisme, rassemblent des parcours individuels.

Tout d’abord l’usage d’appareil de prise de vue bien plus maniables et légers que les chambres photographiques et autres appareils munis de soufflets et plaques peu adaptés à la capture rapide et en mouvement.

Il faut néanmoins préciser que l’équivalent américain de la « Neue Sachlichkeit », à savoir la « Straight Photography », dont Edward Weston a été une des têtes de file pouvait s’effectuer à la chambre grand format. On ne peut donc pas réduire ce renouveau de la photographie au simple moyen de captation.

Il y a pourtant un exemple frappant de cette transition technique, notamment en la personne de Tina Modotti (voir notre article) qui a été fortement marquée par le formalisme d’Edward Weston. Elle est l’exemple même de l’inadéquation des moyens de prise de vue et le désir de se rapprocher de la réalité sociale et économique de son temps.

Tina Modotti
Tina Modotti

Tina Modotti a commencé à emprunter une voie plus personnelle en photographie lorsqu’elle souhaita rapprocher sa pratique photographique de son engagement politique. Elle voulait faire de la photographie un moyen au service d’une cause, dans ce cas de figure, l’engagement communiste.

Or, dans plusieurs de ses lettres à Edward Weston, elle confie à son ancien mentor et amant, que sa manière de travailler est devenue trop lourde, trop lente, trop composée et que déjà nombre de photographes amateurs (la Photographie Ouvrière en Allemagne) ou professionnels ont emprunté la voie qu’elle aurait souhaité suivre, en particulier en s’équipant des nouveaux appareils Leica et Rolleiflex.

Le cas de Tina Modotti est assez exemplaire de l’intrication entre innovation technique et le souhait pour la génération de l’après première guerre mondiale de rendre compte d’une nouvelle modernité et d’une certaine confiance renouvelée dans le progrès, malgré les horreurs toutes proches de la guerre mécanisée et de masse.

Le retour au « réel » et le fonctionnalisme du Bauhaus

Si les Leica et Rolleiflex ont libéré le geste photographique, la modernité que veulent exprimer les tenants de la Nouvelle Vision réside avant tout dans une nouvelle appréhension du réel a contrario du pictorialisme prisonnier du passé et de l’obédience à la peinture.

Pour les photographes de la Nouvelle Vision il est devenu impérieux de témoigner de ce qui fait l’originalité de l’ère moderne. C’est à dire les prémices de la consommation de masse à travers les objets manufacturés produits en grande série, les débuts de la publicité, l’industrialisation exponentielle dans tous les domaines, l’exode rural, la glorification des objets libérés de l’artisanat, multipliés par milliers, l’essor de grands centres urbains, l’automobile, le train et les paquebots.

L’influence du Bauhaus (voir notre article) est omniprésente dans ce renouveau de la photographie

Le Bauhaus – de quoi s’agit-il, au juste ?
Cent ans après l’ouverture du Bauhaus cette école d'art reste toujours bien présente dans le monde entier notamment dans le design et l'architecture

Bauhaus

Les sujets des photographes de la Nouvelle Vision sont à trouver dans ce nouveau monde des objets et de la vitesse. Emmanuel Sougez, une des grandes figures de ce mouvement, ira jusqu’à dire qu’« on ne photographie pas un nu autrement que toute autre chose. »

Emmanuel Sougez
Emmanuel Sougez

C’est alors que surgissent dans la représentation photographique des objets encore ignorés ou méprisés. La nature morte n’est plus la nième répétition d’un tableau de Fragonard à portée intemporelle et métaphysique, mais des engins mécaniques, grues, locomotives, voies ferrées, verres manufacturés, machines à écrire, nouveaux moyens de communications tel que le téléphone.

La vitesse, la puissance mécanique et l’itération industrielle sont exaltées.

La sensualité d’une pomme, d’un nu sublimé, d’un récipient en cuivre soigneusement poli et marqué par l’usage est transposée à celle de la fascination pour la force et le dynamisme des machines et des corps, tout étant traité suivant un regard esthétiquement indifférencié.

L’épiderme et la musculature d’un corps sont photographiées comme le serait une automobile, les détails, textures, les mouvements, tout est rendu avec une extrême précision et un soin maniaque de la lumière, qui magnifie les volumes, les formes et les fonctions qui les sous-tendent.

La machine est érotisée comme le corps est objectivé dans ses fonctions, y compris sexuelles.

Le titre original du livre manifeste, paru en 1928, d’Albert Renger-Patzsch n’est autre que Die Digne (Les Choses). Il sera renommé en Die West is Schön (Le Monde est beau). Dans les deux cas l’influence du Bauhaus et du fonctionnalisme est évidente.

Adieu les afféteries passéistes du pictorialisme, accueillons le progrès dans son essence, la fonction, la puissance indéfinie du progrès scientifique.

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