Ren Hang, des signes de l’amour

Ren Hang, des signes de l’amour
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Ren Hang plus qu'un photographe est un poete visuel qui compose en images des jeux de mots ou de signes. Il procède par collages, collisions et inversions.

Ren Hang, ceci n’est pas de la photographie

Ren Hang hormis le souffle de « subversion » de la jeunesse chinoise exprime aussi et surtout la nouvelle approche de la photographie, où celle-ci en tant que telle n’a aucune valeur intrinsèque, ou le rapport même au réfèrent et donc la valeur d’archive et d’indexation ne compte plus. L’appareil photo ne sert plus à produire des instantanés photographiques, mais à créer (non pas reproduire et produire) des images. Images dans le cas de Ren Hang qui sont un subtil mélange entre une idée graphique, un jeu de mot visuel autour du corps et de l’intime et une interaction érotisée avec ses modèles qui sont ou des proches ou des connaissances avec qui il entretenait fréquemment une relation amicale.

Enfin, le photographe chinois utilisait abondamment les réseaux sociaux pour diffuser ses images qui peuvent aisément s’assimiler à des événements en forme d’happening dont on donne le récit (story en vocabulaire Facebook et autres) sur les réseaux sociaux.

La photographie pour Ren Hang est donc un happening en forme de jeux de mots visuels.

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© Ren Hang.

Iconicité et indice

La photographie puisqu’elle n’invente pas mais reproduit est toujours indicielle en ce sens où par exemple Ren Hang photographie bien des corps réels. Il inflige cependant à ceux-ci une idée, la photographie devient dès lors iconique dans la mesure où elle ne prend pas en photo des individus mais des idées se réalisant dans des personnes soumises à un projet qu’elles écrivent par le truchement de leur corps. Le réfèrent : les modèles photographiés, se réduit ainsi à des signes dans le flux des images culturelles et sociologiques.

Ren Hang dans la séance de pose n’abordait pas toutefois ses modèles comme de simples matériaux à manipuler, il y avait, selon son propre aveu, une relation de plaisir, c’est aussi la part indicielle persistante de son travail. Ce qui lui octroie en bonne partie son originalité. Or l’indice vers lequel pointe la photographie de Ren Hang, n’est rien d’autre que le désir et le jeu, un évènement qui demeure insaisissable, qu’aucun procédé mécanique de reproduction peut objectivement fixer, seuls la sincérité et le talent de l’œil du photographe peuvent faire naître ce genre de singularité.

Une originalité qui s’inscrit néanmoins dans une culture et un héritage sociologique qui « lègue » ou leste le travail de l’artiste. C’est pourquoi les reproductions mécaniques de corps réifiés et assemblés ne sont pas des photographies mais des images (iconiques) au moyen des outils de la photographie. C’est de la photographie qui n’en est plus. La symbolique est d’ailleurs souvent assez directe, Ren Hang pratique des collages sémiotiques et visuels procédant par collision, inversion, glissements et contamination.

Pour Ren Hang la photographie est un moyen contingent en aucun cas un medium dans le milieu duquel l’objet de nature photographique pourrait seulement être produit. Ren Hang ne produit pas des photos il génère des images. La vérité ou l’objectivité n’existe pas ici. Il n’y a pas une copie et un original, mais des idées formelles accidentellement reproduites photographiquement, cela aurait pu être du théâtre photographié, de la danse, de la sculpture, un événement écrit ou improvisé. Le réfèrent ce ne sont pas les corps objectifs, mais l’avènement d’une idée dans une scénographie

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© Ren Hang.

Portraits du multiple

La photographie de Ren Hang doit donc se comprendre suivant deux axes : d’une part l’idée formelle polarisée autour de la sexualité et d’autre part l’hybridation et la performance où finalement la photographie n’existe pas comme telle, elle permet seulement de cadrer et fixer.

D’un point de vue formel le travail de Ren Hang est obsessionnel et procure à l’aspect improvisé et spontané de son travail une sorte de méthode par répétition visuelle et thématique.

Les images du photographe chinois ne sont jamais des portraits, les modèles sont inexpressifs (exactement comme chez Araki, voir notre article) et dans la plupart des cas statiques, ils posent, ils ne sont pas saisis dans l’action.  Mais surtout ils ne se présentent pas ou que très rarement isolément. Les images de Ren Hang sont des « portraits » de groupe, de corps assemblés et « augmentés ».

Les hybridations pratiquées par le poète visuel (il se définissait comme photographe et poète et non comme artiste, une dénomination selon lui assez péjorative en Chine) aboutissent toujours à transgresser les catégories et les interdits particulièrement prégnants dans son pays d’origine. C’est ainsi que les portraits de groupe en hybride unique troublent et dénoncent implicitement les distinctions de genres, mais aussi d’espèces, voire même d’essences.

Les corps appairés dont Ren Hang brosse le portrait sont composés de femmes et d’hommes, mais aussi d’animaux en particulier de volatiles. Ils sont empilés, mélangés, complétés. Ils ne produisent pas une nouvelle identité, c’est-à-dire quelque chose d’unique, de stable mais des états libidinaux à la Brauner, Molinier ou Cindy Sherman (voir notre article).

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© Ren Hang.

Le motif des corps

Les images pétulantes de Ren Hang sont pourtant sans profondeur et d’une froideur métallique.  C’est le paradoxe de sa facture. Il photographiait principalement avec un Minolta grand public, au flash. Or le flash direct, en outre en configuration grand public, a pour particularité de blanchir l’image, de produire l’effet « fromage blanc ». Certes les couleurs sont vives mais sans modelé, les blanc acerbes, les ombres dures et les fonds « sales ».

Par ailleurs, le photographe chinois aimait que ses modèles féminins soient parées malgré leur nudité de rouge à lèvre puissant et d’un vernis à ongles idoine. Dés lors les corps mêlés en un hybride libidinal quoique sans personnalité et inexpressif finit par ressembler à une tapisserie composée de notes rouges (les ongles, les lèvres) et noires (les cheveux, les pubis et les yeux) sur fond blafard quand il s’agit d’intérieur.

Lorsque Ren Hang s’aventurait dans des parcs publics la nuit pour photographier en catimini ses performances de groupe, la nature n’est pas davantage un arrière-plan, ni une scène mais un élément supplémentaire d’hybridation. L’espace non confiné des parcs n’offrent aucune perspective ou profondeur nouvelles à Ren Hang, il constitue, bien plutôt, un motif « décoratif » de plus absorbant dans un tout organique à la Wim Delvoye les corps morcelés.

Par son aspect brut, spontané et organique Ren Hang a inspiré de très nombreux plasticiens et photographes occidentaux notamment Maisie Cousins.

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© Ren Hang.

Le réalisme Cynique

Ren Hang n’est pas une comète isolée comme on le décrit souvent. En réalité l’art contemporain chinoise est parcouru depuis les années 1960 par des mouvements contestataires et subversifs.

Le Réalisme Cynique auquel on rattache le peintre Yue Minjun, représente un des terreaux évident de la démarche du photographe. On retrouve chez le jeune homme le même humour grinçant que chez Yue Minjun, et bien plus que cela. Les autoportraits en multiples du peintre sont également une mise en image de l’individualité disloquée et opprimée des chinois. Le corps social en répétition du même produit visuellement des êtres identiques, iconiques, aux allures facétieuses, qui malgré un sourire aux dents trop nombreuses ne parviennent pas à refréner leur désespoir intime.

Les hybridations du jeune poète visuel sont du même ordre. L’individualité est fragmentée, le désir s’épanche de toute part, mais les visages demeurent de marbre. Même révolte sourde et même fuite dans l’imaginaire que chez Yue Minjun.

Ren Hang répétait qu’il ne se projetait dans aucun avenir, que d’autre part ses poèmes visuels devaient être une performance où chacun trouvait son plaisir, s’amusait, se divertissait, pour mieux échapper au poids social des coercitions politiques et morales.

Le présent grinçant, grimaçant des hybridations improbables était pour Ren Hang un exutoire subversif, légèrement vain, par lequel les présents s’enchaînant il repoussait un peu l’avenir.

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© Ren Hang.

Repères biographiques :

  • Né le 30 mars 1987 à Changchun, Chine.
  • Son père était cheminot et sa mère ouvrière.
  • Etude de marketing.
  • 2008, commence à pratiquer la photographie.
  • 2011, autopublication de son premier livre, Ren Hang 2009-2011.
  • Atteint de dépression chronique il se défenestre et meurt le 24 février 2017.

Publications :

  • 2016, Athens Love, Session press, USA
  • 2016, February, Autopublication,Chine
  • 2016, January, Autopublication, Chine
  • 2015, Seafood Party, Autopublication, Chine
  • 2015, Shanghai Visitors, Autopublication, Chine
  • 2015, New Love, Session press, USA
  • 2015, Food Issue, Same studio, Chine
  • 2014, Physical Borderline, ThreeShadows +3 Gallery, Chine
  • 2013, The Brightest Light Runs Too Fast, Editions Bessard, France
  • 2013, Son And Bitch, Neurasthenia, Taiwan
  • 2013, Republic, Éditions du LIC, Norway
  • 2013, My Depression, Autopublication, Chine
  • 2012, Nude, Autopublication, Chine
  • 2011, Room, Autopublication, Chine
  • 2011, Ren Hang 2009-2011, Autopublication, Chine
  • 2013, Poem Collection of Renhang, Neurasthenia, Taiwan
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