Urs Fischer – L'Esthétique de la Transformation
Sculptures en cire qui fondent, pain qui pourrit, cratères creusés dans les galeries. Urs Fischer transforme la destruction en principe créateur. Entre monumentalité et disparition, son œuvre interroge la matérialité, le temps et la vanité de l'art.
En octobre 2023, une vague géante de cinq mètres de haut s'est échouée place Vendôme. L'installation monumentale Wave, présentée dans le cadre de Paris+ par Art Basel, illustre la méthode Fischer : figer le mouvement, capturer l'instant dans la matière. Cette sculpture en aluminium fraisé, couverte d'empreintes digitales, procède de la même logique que l'ensemble de son travail. Fischer modèle une petite forme d'argile à la main, la scanne en 3D puis la produit à échelle monumentale. Les traces de doigts deviennent des cratères. Le geste intime se transforme en œuvre publique. Cette vague figée juste avant qu'elle ne se brise condense l'obsession de Fischer : arrêter le temps, montrer le processus, révéler la fabrication.
Urs Fischer, sculpteur du temps et de la destruction
Urs Fischer compte parmi les figures majeures de l'art contemporain international. Son œuvre se situe à la croisée du monumental et de l'éphémère. Elle questionne la matérialité, le temps et la banalité du quotidien avec une radicalité qui a fait de lui l'un des artistes les plus recherchés de sa génération.
Formation et parcours : de Zurich à New York
Né en 1973 à Zurich dans une famille de médecins, Fischer étudie la photographie à la Schule für Gestaltung, formation qui influence son rapport au cadrage et au réalisme. Il poursuit une résidence aux Ateliers d'Amsterdam, étape décisive pour s'insérer dans les réseaux internationaux. Avant de s'imposer comme artiste, il travaille comme décorateur de théâtre et videur de boîte de nuit, expériences qui nourrissent son goût pour le spectaculaire. En 2004, il s'installe à New York où il réside depuis, tout en gardant des liens avec Zurich.
Influences : du Dada zurichois au Pop Art
L'œuvre de Fischer s'inscrit dans une filiation complexe. L'héritage dada zurichois constitue une première strate. Le rejet des conventions bourgeoises, l'utilisation du hasard, la juxtaposition d'objets disparates pour créer de nouveaux sens traversent son travail. Comme les dadaïstes, Fischer pratique l'assemblage et cultive l'absurde, mais il y ajoute une dimension spectaculaire que Dada ignorait volontairement. Le Pop Art forme une seconde référence évidente. Fischer utilise les objets du quotidien : fruits, cigarettes, chaises, paquets vides. La filiation avec Claes Oldenburg apparaît clairement dans le jeu sur les échelles et les matériaux. Comme l'hyperréalisme Oldenburg, Fischer monumentalise le trivial et transforme le dur en mou, le stable en précaire.

L'influence de Martin Kippenberger se révèle toutefois plus profonde. Fischer partage avec l'artiste allemand une attitude irrévérencieuse, un humour noir et une critique institutionnelle qui passe par la provocation formelle. Comme Kippenberger, il refuse le dogmatisme de l'art conceptuel tout en en conservant les outils critiques. Bruce Nauman constitue une autre référence, notamment dans l'exploration du corps et de l'espace psychologique. Mais là où Nauman travaille l'angoisse et le malaise, Fischer privilégie l'ambiguïté et le spectacle de la destruction.
L'entropie comme principe créateur : sculptures éphémères et destruction programmée
Le travail de Fischer s'articule autour de plusieurs axes. Le premier concerne l'entropie et l'éphémère. Fischer utilise le temps comme matériau. Ses œuvres sont conçues pour disparaître ou se détériorer. Les sculptures en cire fondent durant l'exposition. Le pain pourrit. Les fruits se décomposent. La destruction devient créatrice. L'œuvre n'est véritablement achevée que lorsqu'elle s'est consumée ou effondrée. Cette approche inverse le paradigme traditionnel de la conservation. Le musée, lieu de préservation par excellence, devient le théâtre d'une disparition programmée.
Biennale de Venise 2011 : L'Enlèvement des Sabines en cire

En 2011, Fischer présente à la Biennale de Venise une réplique grandeur nature de L'Enlèvement des Sabines de Giambologna. La sculpture, entièrement réalisée en cire, est équipée de mèches et commence à fondre dès l'ouverture. Les visiteurs assistent à la lente dissolution d'un chef-d'œuvre de la Renaissance. La cire coule, les corps se déforment, les visages s'effacent. L'œuvre devient une méditation sur la vanité de l'art et la précarité de toute chose. Fischer réalise également des portraits de contemporains qui se consument. Dasha Zhukova, Julian Schnabel et d'autres figures du monde de l'art sont transformés en bougies géantes. La flamme dévore lentement leurs traits. La métaphore de la vanité humaine s'impose sans qu'il soit nécessaire de la souligner.