Diane Arbus, au-delà du mythe
Diane Arbus cristallise des questions qui dépassent largement la photographie : le regard sur l'autre, les limites de l'empathie, le prix de l'obsession artistique.
Ce dossier prolonge la réflexion en explorant les zones d'ombre que l'article initial (Diane Arbus, une plongée dans les marges de l'Amérique) effleurait. Parce qu'Arbus ne s'est pas construite seule, malgré le mythe de l'artiste solitaire qui s'est imposé après sa mort. Derrière l'image figée de la photographe des marginaux se cache un réseau de relations complexes, parfois toxiques, souvent déterminantes.
Lisette Model d'abord. Son influence sur la jeune Diane Nemerov dépasse le simple mentorat technique. Model lui transmet une certaine brutalité du regard, une façon de ne pas détourner les yeux. Mais elle lui lègue aussi, peut-être, une angoisse existentielle que la photographie ne parviendra jamais à apaiser.
Marvin Israel ensuite. Directeur artistique brillant, amant secret, confident absolu. Cette relation amoureuse et créative structure les années les plus intenses d'Arbus. Israel la pousse, la critique, l'exalte. Leur correspondance révèle une dépendance mutuelle dont l'intensité confine parfois à l'étouffement.

Susan Sontag intervient après la mort d'Arbus avec son essai dévastateur "America, Seen Through Photographs, Darkly". L'attaque est frontale : Arbus serait complice d'une forme de voyeurisme cruel. La polémique révèle surtout les tensions qui traversent la critique d'art américaine des années 1970 face à la question de l'exploitation de l'image.
L'affaire Viva illustre plus concrètement ces ambiguïtés. La manipulation dont la muse de Warhol accuse Arbus et son éditeur Doon Goldsmith soulève des questions dérangeantes sur le consentement, la construction du récit photographique, les rapports de pouvoir entre photographe et sujet.
Les relations professionnelles d'Arbus dessinent également un paysage contrasté. Avedon, Penn, Turbeville : des contemporains avec lesquels elle partage parfois l'espace des mêmes magazines mais rarement les mêmes préoccupations esthétiques. Ces proximités et distances éclairent la singularité radicale de son travail.
Enfin, il y a Doon et Amy, ses deux filles. Elles ont grandi dans l'ombre d'une mère obsédée par son art, souvent absente même quand elle était physiquement présente. Leur témoignage, rare et précieux, humanise une figure que la légende a progressivement désincarnée.
Ce dossier n'épuise pas le sujet. Il ouvre des pistes, documente des relations, restitue une épaisseur humaine. Arbus mérite mieux que l'hagiographie ou le procès. Elle mérite la complexité.
