Les voies sinueuses de la vertu chez Greuze
Greuze peint la vertu bourgeoise au XVIIIe siècle. Ses tableaux moralisateurs mettent en scène des jeunes filles entre innocence et sensualité. L'ambiguïté traverse son œuvre : la vertu affichée côtoie une théâtralité trouble. Diderot chantre de la vertu bourgeoise admire puis se détourne.
Au XVIIIe siècle, Jean-Baptiste Greuze était la coqueluche des philosophes. Diderot pleurait devant ses toiles, louant sa "moralité". Pourtant, quand on y regarde de plus près, la morale de Greuze ressemble surtout à un formidable alibi pour voyeurs distingués.
Bienvenue dans le petit théâtre des fausses innocences, où les cruches se cassent toujours au bon moment et où les vêtements tombent par "accident". Décryptage d'un succès bâti sur l'ambiguïté.
Le Petit Dictionnaire des "Catastrophes" (très) symboliques
Si vous pensiez que ces jeunes filles avaient simplement deux mains gauches, détrompez-vous. Chez Greuze, chaque maladresse domestique est un code secret que les libertins de l'époque déchiffraient en un clin d'œil.

- La Céramique en miettes (La Cruche Cassée) : C’est le tube de l’époque. Une jeune fille à l’air penaud, une cruche fêlée... L'image est limpide. En argot du XVIIIe, la "cruche" désigne le sexe féminin. La fêlure n'est pas un problème de poterie, c'est la perte irréversible de la virginité. La morale officielle ? "Attention mesdemoiselles !" La réalité ? On invite le spectateur à contempler le résultat de la faute avec un plaisir non dissimulé.

- L'Oiseau Mort : Pourquoi tant de larmes pour un canari ? Dans la poésie galante, l'oiseau qui s'échappe ou qui meurt est la métaphore de l'amant qui a pris ce qu'il voulait avant de s'envoler (ou, encore une fois, de l'innocence trépassée). Diderot lui-même, censé être un parangon de vertu, s'est trahi devant une toile de Greuze en écrivant qu'il se verrait bien "consoler" physiquement la belle éplorée.
