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Saul Leiter, une photographie sensitive et picturale

Saul Leiter a pratiqué durant toute sa carrière une photographie sensitive, la texture de la lumière ou des couleurs étaient son sujet. Dans In My Room il laisse-courre à l'échange sensuel baigné de lumière

Saul Leiter, une photographie sensitive et picturale
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« Je ne sais pas comment j'ai pris telle photo à tel moment ni pourquoi. Je ne sais pas si j'ai réussi à faire ce que je voulais, je n'ai jamais su ce que je voulais faire ! » - Saul Leiter

Saul Leiter, né en 1923 à Pittsburgh (il décède en 2013 à New York, voir la biographie) est considéré comme l’un des grands initiateurs de la photographie couleur.

Avant d'être photographe il fut peintre, notamment dans le registre de l'expressionnisme abstrait. Ses photographies de rue en couleur évoquent, à dessein, les œuvres de Bonnard, Matisse, Egon Schiele, et Vuillard ou Balthus. Parfois on pourrait y voir une évocation des tableaux de Rothko.

C'est sous l'influence du grand photographe de guerre William Eugene Smith et son ami peintre abstrait Richard Pousette-Dart qu'il bascula définitivement vers la photographie, principalement avec des appareils légers tels que le Leica et Rolleiflex.

Il réalisa également de très nombreuses commandes de photos de mode notamment pour le magazine Harper’s Bazaar, Esquire, Elle, Vogue (anglais), Nova ou Life. 

Saul Leiter
Saul Leiter. taxi, 1957.

In My Room

Dans la série de portraits intimes et de nus réalisés entre 1946 et 1970, qui ont été réunis dans le livre In My Room, Saul Leiter parvient à une exceptionnelle saisie de la délicatesse.

In My Room (voir ci-dessous) est une publication posthume des photographies de nus prises dans l'atelier de Saul Leiter situé dans l’East Village à New York. Ses modèles étaient presque exclusivement des intimes, amies, amantes. Il n'est pas question ici d'égéries ou de recherches formelles comme chez Edward Weston, Imogen Cunningham, Raoul Hausmann ou Bill Brandt. C'est un journal intime photographique. Il a été tenu dès l'arrivée du photographe à New York en 1952, et même un peu avant, jusqu’au début des années 70.

égérie - Artefields
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Dans les années 1970 Saul Leiter envisagea, à l'incitation de Henry Wolf, directeur artistique du Harper's Bazaar, de publier un livre composé de ses nus. Le projet ne vit jamais le jour. Les photographies portées au regard du public sont donc issues des archives pléthoriques de l'artiste. Il reste encore des milliers de négatifs non exploités.

Cet ensemble de clichés n’a donc jamais été destiné à être publié. Ce qui atteste non seulement du caractère privé de ces images mais également de leur authenticité, ainsi que de la spontanéité qui s'en dégage. D'ailleurs Robert Benton, un proche de Saul Leiter, explique l'usage du noir et blanc par le souci du photographe de ne pas passer par un laboratoire et de developper et tirer lui-même ces photographies très personnelles.

Saul Leiter. In My Room
Saul Leiter

A noter que la majorité des clichés publiés, parmi beaucoup d’autres restés inconnus du public, n’est rien d’autre que la saisie photographique d’instants d’intimité et de confiance où le modèle joue/danse/échange avec Le photographe sans poser au sens strict. Évidemment, à moins de clichés à la dérobée, du fait seul de l’appareil porté à l’œil, il y a une interaction qui modifie le contexte intime mais c'est dans le plus grand naturel, une spontanéité totale, une réciprocité évidente, que les protagonistes jouent de la situation, pour eux, d'ailleurs, ordinaire.

On pénètre à pas feutrés dans le jeu, mais sans le moindre artifice même quand on prend la pose. L’un et l’autre, le photographe qui veut retenir ce qui advient, dont il a une conscience diffuse, et le partenaire plus que le modèle, qui se laisse approcher, qui s’abandonne ou joue. L’équilibre est là ! La force du sujet est sa confiance, sa douceur son abandon, sa photogénie en est sublimée.

Sunday Morning

Saul Leiter
Saul Leiter. Sunday Morning, vers 1947.

La photographie Sunday Morning (1947), qui fait partie de la série des photographies personnelles de Saul Leiter, est surprenante du point de vue de ce qu'une photographie peut avoir de délicatesse, d'intime, de douceur et de connivence.

En effet, le photographe domine son sujet, ou plutôt l’enjambe, dans un moment d’épiphanie que la situation de surplomb pourrait contredire, voire anéantir. L'équilibre tient à peu de chose, un lien ténu : l'échange de regards.

Ce soleil hivernal au matin dans le parc ; la main que la femme porte à ses yeux pour s’en protéger ; le lit d'herbes grouillant, organique ; la cravate ou la sangle de l’appareil photo qui rentre dans le champ en premier plan, et ce regard intense accompagné d’un léger sourire aux lèvres éclatantes. L’image est paradoxale !

Elle pourrait être celle de la domination du photographe, en extrapolant celle d’un homme réifiant un objet désirable. Pourtant l’échange renverse tout. Le photographe est « à terre », subjugué, la femme au sol l’enveloppe, elle occupe toute la scène. Avec douceur et force, délicatesse.

Saul Leiter

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