Andy Warhol, le pape du Porno Chic
Une erreur de pellicule qui vire au bleu, 10 minutes de sexe, et des dialogues sur le Vietnam pour l'alibi. Blue Movie de Warhol devait être Fuck. Il sera saisi par la police pour "pornographie hardcore", mais lancera surtout la révolution mondiale du "Porno Chic".
Ah, 1968 ! L'année où le monde basculait, où les pavés volaient à Paris et où l'Amérique se déchirait au sujet du Vietnam. C'était une époque de libération totale, où chaque norme sociale, politique et artistique était joyeusement dynamitée. Et à New York, dans l'épicentre du cool qu'était la Factory, Andy Warhol, le grand prêtre blafard du Pop Art, avait une idée. Une idée d'une simplicité désarmante, presque enfantine.
"J'avais toujours voulu faire un film qui soit du pur sexe, rien d'autre", déclara-t-il, "de la même manière que Eat avait été juste manger et Sleep avait été juste dormir". La logique était imparable. Après le sommeil et la nourriture, que restait-il ? En octobre 1968, il mit donc son plan à exécution. Il filma sa superstar, l'incandescente Viva, et l'acteur Louis Waldon, en train de... eh bien, de "faire l'amour". Le titre de travail ? Fuck. Direct, honnête, et délicieusement provocateur.

Le tournage eut lieu dans l'appartement bohème de David Bourdon à Greenwich Village, en une seule session supposée de trois heures. Warhol, fidèle à son esthétique de l'endurance, ne coupait presque rien, laissant tourner la caméra.
L'art de l'accident heureux
Le film aurait pu rester Fuck, une autre provocation conceptuelle de la Factory. Mais c'était sans compter sur le génie passif de Warhol, sa capacité unique à transformer les erreurs techniques en coups de maître artistiques. Le film acquit en effet une teinte bleue/verte distinctive. La raison ? Warhol, peu soucieux des détails techniques, avait utilisé une pellicule conçue pour l'éclairage artificiel au tungstène, alors que la scène était baignée par la lumière du jour entrant par une grande fenêtre.
Wheeler Winston Dixon, cinéaste et universitaire, assista à la première projection privée à la Factory au printemps 1969 et raconta la scène surréaliste qui s'ensuivit. "Quand le film s'est terminé...", rapporte Dixon, "j'ai entendu Warhol demander à quelqu'un d'un ton plaintif 'Pourquoi toute la deuxième bobine est-elle toute bleue ?'".

Dixon, pédagogue, lui expliqua alors les subtilités des différentes pellicules et la nécessité d'utiliser des filtres pour équilibrer les couleurs. " 'Ohhhhhhh', dit Andy. Longue pause. 'Eh bien, je suppose qu'on devrait l'appeler Blue Movie' ".
Et voilà. Le titre était né, non pas d'une intention esthétique préméditée, mais d'une erreur de débutant. Le "Blue Movie" (film porno, en argot) était littéralement devenu un film bleu. L'ironie était parfaite.