Cindy Sherman The Picture Generation

Cindy Sherman a fondé tout son travail sur le travestissement, en portant des masques parodiques elle tente de montrer ce qui se cache derrière eux.

Cindy Sherman The Picture Generation

Cindy Sherman, masques et portraits de genre

“I’m really just using the mirror to summon something I don’t even know until I see it.” – Cindy Sherman.

Cindy Sherman et la photographie

Cindy Sherman est de manière convenue présentée comme une photographe conceptuelle traitant des genres et de l’identité dans une perspective féministe et selon une « facture » post-moderne.

Ce sont évidemment des raccourcis, qui, en outre, reposent sur des notions proches parfois du postulat, notamment lorsqu’il s’agit de définir ce qu’est le post-moderne.

Mais avant tout, s’agit-il bien de photographie ? C’est la première chose que l’on souhaite clarifier. Cindy Sherman n’a jamais montré de photographies, instantanées, photo de rue, ou autre, hors les clichés de ses mises en scène, à l’exception, tout de même, des publications sur son compte Instagram.

Théâtre photographique

Pour elle la photographie est en quelque sorte une méthode d’enregistrement dans un processus systématique et sériel. Elle travaille à l’image des artistes conceptuels qui utilisaient la photographie de manière neutre, comme fixation d’une démarche analytique et critique ou d’une performance. La photographie pour eux n’était que rarement un élément crucial du système.

Cindy Sherman procède à une sorte de performance théâtrale, une mise en scène à vocation critique, teintée d’ironie Pop Art, ou plus positivement d’un humour noir et grinçant. La photographie est comme l’archivage  d’un état de la représentation théâtrale que donne, seule dans son studio, Cindy Sherman.

Andres Serrano photographe et moraliste
La carrière de Andres Serrano s’est construite sur le scandale or l’artiste américain est surtout un polémiste imprégné de religion et de spiritualité.

Toutefois, dans le travail de l’artiste new-yorkaise la photographie n’est ni neutre, ni accidentelle. Elle est une réplication d’une image existante ou supposée telle parce qu’elle est significative d’un certain type de représentation, notamment dans la série Untitled Film Stills : la représentation phallocratique de la femme dans le cinéma hollywoodien des années 1950.

Que ses mises en scène photographiées soient des images doubles de l’image symbolique, médiatique et filmique entre autres, n’est évidement pas indifférent, c’est même l’axe conceptuel autour duquel toute sa démarche gravite, laquelle consiste à « répéter » pour créer l’écart.

« Rétro-ingénierie » et photographie

Cindy Sherman, dans la lignée de la critique Pop Art de la culture vernaculaire reproduit, à travers la mise en scène, des stéréotypes, elle les duplique en les isolant, en les décollant plus ou moins violemment du référent réel (un film) ou fantasmatique (les représentations collectives). Le théâtre d’images et de signes mis en œuvre physiquement dans le théâtre shermanien a intrinsèquement besoin de la photographie comme double sémiotique. C’est la planéité et l’isolement temporel de la photographie qui permet le retour critique de l’image décalée (le théâtre de signes joués ou symbolisés) sur elle-même (l’image collective de la Femme, du désir, du jeunisme, etc.). Une image pour une image.

Medium et matériau

D’autre part, Cindy Sherman a souvent affirmé qu’elle ne voulait pas d’un mode d’expression qui soit élitiste, précieux. La photographie par son approche directe sans intervention de la virtuosité de facture, correspondait mieux à son désir de rester proche de la culture populaire, et d’évacuer la notion d’artiste démiurge, position assez banale dans les années 1970 et 1980.

Sally Mann ou la vie dans les bois
Sally Mann utilise la photographie comme un journal intime où se mêlent introspection et émotions ordinaires, parfois extatiques, souvent sensuelles.

Le medium de Cindy Sherman n’est pas strictement la photographie, elle est plutôt une performeuse qui joue des rôles, le matériau de sa démarche n’est autre qu’elle-même. La photographie est pourtant bien le medium au sens où il est le milieu dans lequel les performances théâtrales de Sherman prennent tout leur sens. Un environnement aussi fin qu’un plan de projection, comme une feuille qui trancherait la trame temporelle pour donner une surface sur laquelle le réel se retourne comme un gant en se répliquant.

Les Masques révélateurs de Cindy Sherman

Les jeux d’apparences et la précarité de l’identité par identification aux modèles de représentation sont le sujet, le motif du travail de la photographe conceptuelle, le paysage sémiotique à partir duquel elle brode des jeux de rôles critiques, sarcastiques et propres à des glissements purement subjectifs et incontrôlés.

La démarche de Cindy Sherman est, malgré la qualification de conceptuelle, intuitive. Certes, elle travaille par séries : les stéréotypes machistes du cinéma hollywoodien, les pleines pages de magazines de charme, la peur de vieillir et le jeunisme, les clowns tragiques du quotidien, etc. Il y a bien une apparence de systématisme, le même modèle, souvent unique, des cadrages assez similaires et en pied, une distance de prise de vue constante, un niveau de détail élevé, etc. Mais les agencements auxquels elle procède ne sont pas préétablis, de son propre aveu, elle ne sait jamais ce à quoi va aboutir la représentation théâtrale en cours. Cette machine désirante spéculaire qui fonctionne comme une sorte de digestion conceptuelle en images fait penser au travail de David Altmejd qui tente de nous faire rentrer dans le « dividu » qu’est un artiste, où l’intime et les représentations collectives se mêlent inextricablement. Les petits théâtres de Cindy Sherman font penser à cela, un processus dérivatif en cours, guidé par un concept à digérer, que l’appareil photographique arrête à des moments spécifiques.

Masques, jeux de langage et jeux de rôle

Les jeux de masques de la plasticienne ne sont pas que des décollements analytiques des apparences (artifices) dont se parent l’Homme en société, ou plutôt, en ce qui concerne Cindy Sherman, dans la grande majorité des cas, les masques qui s’apposent aux femmes et qu’elles intériorisent. En effet, Cindy Sherman fait craquer le maquillage et le verni, elle excède le rôle en le surjouant basculant dans le grotesque, le pathétique.

Elle déconstruit selon un axe général, mais pas de manière méthodique et calculée. Au-delà de la critique des coercitions sociales les failles émotionnelles se multiplient : la peur, l’accablement, la mort et l’organique se déversent contaminant la démarche conceptuelle.

The Picture Generation

A peu près à la même époque que les débuts de Cindy Sherman, Duane Hanson dans ses mises en scène hyperréalistes déracine des situations sociales où transparaît avec constance le même épuisement, le vide, l’abattement. En 1978, avec Destroyed Room, Jeff Wall, beaucoup plus distancié que Cindy Sherman, crée des tableaux photographiques dépeignant le désenchantement des « temps modernes ».

Il le fait grâce à un procédé conceptuel exhibant l’écart entre la source d’inspiration (des tableaux classiques très populaires) et le « document » fictif, totalement reconstruit, d’une scène contemporaine. Il faut rappeler qu’en 2009 eut lieu une exposition retentissante au MET laquelle, sous le titre The Picture Generation 1974-1984 réunissait les artistes de l’appropriation et la déterritorialisation des images inspirées en partie par les structuralistes français, ainsi que Gilles Deleuze.

On pouvait voir des artistes féministes déconstructivistes telle que Barbara Kruger, mais aussi Robert Longo, Richard Prince, Jack Goldstein, etc. Cindy Sherman n’est donc pas isolée dans sa démarche, elle se distingue néanmoins par la part subjective et par son implication personnelle en tant que modèle unique de ses clichés.