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Andres Serrano photographe et moraliste

La carrière de Andres Serrano s’est construite sur le scandale or l'artiste américain est surtout un polémiste imprégné de religion et de spiritualité.

Andres Serrano photographe et moraliste

Andres Serrano le moraliste

La carrière de Andres Serrano s’est construite, dès ses débuts en 1987, sur le scandale, spécifiquement avec la représentation d’un Crucifix immergé dans l’urine. Or quand on prend le temps de considérer la cohérence de son travail on réalise que l’artiste américain est plus polémique , au sens étymologique, que provocateur et encore moins transgressif.

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© Andres Serrano, « Piss Christ », 1987. Série « Immersions », 1987-1990.

Il aborde avec constance, dans une manière esthétisante et théâtrale, des questions sociales et éthiques qui sont considérées par nombre comme tabous ce qui a pu conduire à penser qu’il n’était soucieux que de susciter l’indignation.
Ce qui il y a probablement de plus dérangeant ici, c’est d’aborder des sujets difficiles, considérés comme vulgaires sous la forme de tableaux de maîtres. Andrés Serrano monumentalise par la picturalité et le format de ses photographies des sujets voués à la forclusion. Cette forme d’éloquence visuelle introduit l’écart, déporte ainsi le sujet dans un registre que la bienséance ou l’hypocrisie sociale lui refuse habituellement.
Cette mise en déséquilibre de thèmes rejetés à l’index ou caricaturés n’est pas complètement originale dans les années 80. En effet, beaucoup d’autres photographes de la même génération se sont livrés à un travail de déconstruction de l’image. La particularité de Serrano est de se concentrer sur les mœurs, la sexualité et le religieux dans une esthétique très éloignée de l’Ecole de Dusseldorf notoirement dominante dans cette période.

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© Andres Serrano. « Crucifixion I » (Holy Works), 2011. Courtesy Galerie Nathalie Obadia Paris / Bruxelles. Exposition au musée du Petit Palais, Paris, 2017.
Andres Serrano au musée du Petit Palais - ARTEFIELDS
Andres Serrano est exposé au musée du Petit Palais, une occasion de mettre en relation son travail avec la peinture du XIX° dont l’artiste s’est inspiré.

Une autre particularité du photographe est qu’il n’intellectualise pas sa démarche, elle ressort plutôt d’un univers très personnel et subjectif nourri en particulier par l’art Baroque et Classique ainsi qu’une forte imprégnation « religieuse », portant encore certaines traces de la tradition amérindienne et l’omniprésence de la mort.

On peut considérer, parmi les photographes réputés de ces décennies, Martin Parr comme une sorte de sociologue, Andréas Gursky comme un éthologue, Hiroshi Sugimoto tel un entomologiste, Thomas Ruff comme un épistémologue, Serrano est quant à lui un genre de moraliste, mais un moraliste ambivalent, plus intuitif que rhétorique oscillant entre fascination morbide, la « religiosité » comme rituel, et le questionnement spirituel.

Transgression et ironie polémique

La facture de Serrano se caractérise par une esthétique post-moderne spécialement en raison de son syncrétisme où s’hybrident le Baroque (Caravage), le Classicisme (David), le Pop Art et l’héritage de Marcel Duchamp (tout peut-être une œuvre d’art). Elle situe avec brutalité le débat sur le plan des idées qui sous-tendent telle ou telle communauté de valeurs ou de mœurs. C’est la raison pour laquelle son travail relève davantage du constat critique et polémique (propre à provoquer le débat) que de la transgression. A l’image du Pop Art on est plus proche de l’ironie que de la rupture face à l’ordre et les règles normatives, avec évidemment le goût propre au post-modernisme pour l’esclandre.

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Andres Serrano, Juana Rios Rios, Juana de Cubana, Fortune Teller (Cuba), 2012 © Andres Serrano, Courtesy de l’artiste et Galerie Nathalie Obadia Paris / Bruxelles.

Ces portraits des marges ou au contraire des grandes tendances socio culturelles sont donc souvent purement factuels. La position de l’auteur n’est marquée d’aucune manière claire. On note son penchant pour les exclus mais sans qu’il y ait un appareil critique se surajoutant à l’image. On est, quand il s’agit d’autres sujets que le sacré, dans une démarche iconographique à l’instar de nombreux autres photographes plasticiens de la même génération tel Jeff Wall.
Ce sont des artistes qui inscrivent leurs travails dans la critiques déconstructive de la mise en image du réel. Andres Serrano nous confronte aux interdits, à nos interdits, ceux de voir et penser, sans pour autant tenir le moindre discours sous-jacent. Donc, à l’inverse d’un Jeff Wall, il ne développe pas de système théorique, même implicite, il y a le même appel à la tradition, mais dans un univers mental extrêmement subjectif et métaphorique alimenté de résonnances intimes et artistiques. Il y a un aspect Buñuelien dans le travail du photographe-peintre, voire même Lynchien d’autant plus qu’Elephant Man date de 1980 et Blue Velvet de 1986, au moment où Serrano reprend sa vie en main et décide de revenir à l’art après avoir connu l’univers de la drogue.

La chair, le sacré

« The Immersion (Piss Christ) », (1988), son œuvre la plus connue, qu’il porte comme un fardeau tant on résume son travail à cette pièce unique, a été réalisé en 1987, une époque où le retour du religieux faisait tout de même moins débat qu’actuellement. Serrano prétend avoir voulu exprimer ici sa « religiosité », c’est à dire sa manière intime de vivre l’héritage familial. Difficile de savoir où est la part d’ironie et de provocation dans ses propos. Ceci dit cette réflexion non conformiste sur le fait religieux, la mort et les épiphanies semblent étayée par de nombreuses autres photographies bien moins connues et souvent plus formelles que scandaleuses. Pour Serrano la religion catholique, telle que vécue en Amérique centrale et ses oripeaux constituent un univers phantasmatique qui alimente esthétiquement une grande partie de ses créations. Il ne retient de cette influence que le rituel, le symbolisme, le théâtre des signes et la dramatisation.

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© Andres Serrano. « Soeur Yvette », Paris 1991. Série: « The Church », 1991.

En outre, quand on considère les thèmes religieux abordés dans l’art on constate rapidement chez un Grünewald ou Holbein à quel point la représentation de la mort du Christ ou son martyre est fréquemment très corporelle voire organique. L’humanité du Christ et les saints ne cessent d’être exposés aux pires sévices, ceci dans les moindres détails. Finalement Serrano reprend dans l’esthétique et l’éclairage baroque ou classique une thématique religieuse existante sans s’interdire évidemment une transposition dont il serait malhonnête de ne pas dire que du point de vue du dogme elle est sacrilège.

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© Andres Serrano. Soeur Jeanne Myriam, Paris 1991. Série: « The Church », 1991.

Serrano, baroque ou classique ?

Ce qui prête le plus à la lecture courante concernant le travail de Serrano vu comme scandaleux repose beaucoup sur le caractère esthétisant et monumental de son œuvre. Le photographe américain ne cesse de clamer son goût pour le baroque, notamment Caravage. Or cette référence n’est pas superficielle et dominée par le seul aspect stylistique, à savoir la véhémence, l’excès et une forme plus ou moins manifeste de violence. Touchant Caravage ce qui a probablement retenu l’attention du plasticien doit consister dans la mise en scène de la condition humaine et de sa salvation dans des arrêts brutaux de l’action mise en pleine lumière, et notamment des modèles issus du peuple et exprimant dans leurs chairs au sens strict la tragédie humaine soumise à la perte, le manque, la déchéance et la peccabilité.

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© Andres Serrano. « Lori and Dori », 2001. Série: « The Interpretation Of Dreams », 2001.

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