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Gerhard Richter et la photographie

Gerhard Richter en se soumettant à la reproduction d'une photographie prétend se libérer de la subjectivité du motif pour ne se consacrer alors qu'à peindre

Gerhard Richter et la photographie

(Article augmenté le 5 février 2022)

Gerhard Richter : Aussi vrai qu’une photo !

Gerhard Richter n’est pas hyperréaliste

Gerhard Richter en se soumettant à la reproduction d’une photographie quelconque prétend se libérer de la subjectivité du motif pour ne se consacrer alors qu’à peindre. Cette confrontation entre la reproduction mécanique et la reproduction picturale soulève de nombreuses ambigüités qui éclairent en creux la spécificité de la photographie. En cultivant la perte d’aura de l’oeuvre d’art c’est à dire « l’unique apparition d’un lointain si proche soit-il » (Walter Benjamin) Gerhard Richter ne souhaite pas conformément à l’esthétique de l’art moderne et contemporain (cf. Marshall Mc Luhan, Herbert Marcuse, Clement Greenberg, etc.) la disparition de l’œuvre d’art mais bien au contraire son existence autonome. Pour évacuer le sujet et son signifié il s’astreint à un exercice de reproductibilité, dans ce cas de figure, de photographies « sans qualité ». Mais, Richter n’est jamais dépourvu d’ironie, il introduit fréquemment le doute, les équivoques.

« Toute œuvre d’art est d’abord objet, la manipulation est inévitable. Elle est nécessité absolue. Mais j’ai besoin de la photo, plus objective, pour corriger ma manière de voir. Si par exemple, je peins un objet d’après nature, je risque de le styliser et de le transformer pour qu’il corresponde à mes conceptions et à mon éducation. Mais si je copie une photo, tous les critères et les modèles tombent en désuétude et je peins pour ainsi dire contre ma volonté. Or j’ai ressenti ce phénomène comme un enrichissement. » _Gerhard Richter. Entretien avec Peter Sager, 1972

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© Gerhard Richter.

En se soumettant à la reproduction d’une photographie, Gerhard Richter dit se libérer de toute forme d’interprétation. Il prétend réduire alors son intervention au seul geste pictural, pour ne se consacrer donc qu’à « l’espace pictural » (cf. Matisse) au risque d’un exercice de simple virtuosité.
Pourtant ces reprises de photographies sont aussi voire encore plus touchantes et mystérieuses que les originaux. Qu’est-ce qui fait donc la force de ces reproductions, de ces imitations, de ces reprises ?
Tout d’abord la mise en abîme de toute répétition et la malice du peintre qui déclare vouloir se dégager de toute subjectivité en sachant évidemment que cela est impossible.
En second lieu parce que la prise de vue photographique elle-même est déjà soumise à la subjectivité et l’arrêt arbitraire du temps, d’autant plus qu’il s’agit de clichés familiaux, personnels, intimes. Ce qui reste tout aussi vrai des reprises opérées par Richter quand il s’agit d’actualités – la série sur Ulrike Meinhof en est un bon exemple – ou de simples coupures de presse de faits divers ou mondains.

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© Gerhard Richter, « Betty », 1988.

L’acte de prélever tel ou tel article est déjà éminemment arbitraire et personnel. Cette première mise en abîme est en soi déjà fascinante.
Mais il y a aussi et surtout le changement de technique, le passage d’un medium à l’autre qui amène sa propre altération, ses propres accidents.
Par exemple, ici, dans ce tableau, les cheveux de Betty sont dans la reproduction picturale saisissants d’habileté et encore plus près de la réalité sensorielle, affective qui nous saisit quand on se plonge dans l’observation de la chevelure d’un être cher. On sent presque par la touche si fine du pinceau et la superposition des glacis le glissement subtil des mèches de la chevelure de Betty. On peut aller jusqu’à imaginer la douce odeur capillaire.
Cet exercice est presque Proustien, et a donc un impact très fort chez le “regardeur”, dont l’inconscient peut rappeler tant de moments fragiles et précieux. C’est probablement la force de cette peinture “imitative” qui veut paradoxalement se dégager du sujet pour devenir, ou croyant – probablement ironiquement – devenir objective.

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© Gerhard Richter., « Betty », 1977.

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