Le nu et les corps photographiques
Comment photographier les corps ?
Si on exclut la photographie de charme et érotique le nu en photographie se présente sous bien des aspects. On ne peut qu’en retenir quelques uns : héritier des arts plastiques quand il s’agit du pictorialisme; sous l’influence naturelle des grands mouvements esthétiques du 20° et 21° siècle; ou encore élément essentiel de certains courants de l’art moderne, tels que le Body Art, Fluxus, et bien entendu l’hyperréalisme.
Laure Albin Guillot
Fluxus, performance et jeux de mots visuels
Une des constantes de la photographie de nu qui ne soit pas de charme est la construction de l’image à travers des corps qui sont tels des signes, où donc la part érotique ou tout simplement sensuelle est presque inexistante. Au sein de cette catégorie on retrouve des photographes tels que Ren Hang, Elina Brotherus, Polly Penrose, **Francesca Woodman, Alix Cléo Roubaud,**entre autres. Ce qui caractérise cet ensemble assez hétérogène repose sur l’idée centrale de performance associée à la représentation des corps comme des mises en acte d’idées, notions ou tout simplement jeux de mots qui deviennent des jeux de signes visuels. Dans ces cas de figures la filiation avec Fluxus et le happening ou le Body Art est évidente et rejoint par exemple les démarches d’artistes modernes ou contemporains telle que Ana Mendieta, ou Marina Abramović.
© Polly Penrose.© Alix Cléo Roubaud.
Le corps collectif et son corps nu
Une autre tendance intéressante est celle des photographes qui questionnent la représentation des corps, du genre, et l’ensemble des valeurs collectives qui façonnent les corps, notre désir, notre propre conscience de ceux-ci. La plupart de ces artistes ont évidemment une approche critique. Cet aspect est particulièrement vérifié avec les femmes photographes qui s’insurgent contre les valeurs patriarcales, consuméristes, et d’ordre général toutes les prises de pouvoir sur le corps spécifiquement féminin. C’est ainsi que Pixy Liao a produit une série photographique centrée autour de sa vie de couple avec son compagnon Moro dans le but d’inverser la représentation conventionnelle des rapports genrés. Dans ce registre de subversion des discours dominants on trouve également Maisy Cousins qui reprend les codes des magazines en les poussant à outrance, en montrant précisément ce qu’on ne saurait voir et encore moins montrer, la pilosité, les formes, la sensualité exubérante, le sexe lui-même. Talia Chetrit selon une perspective toute aussi subversive tient une forme de journal apocryphe autour de la famille, de soi, de l’intimité en se livrant à un autoportrait totalement impudique, qui en quelque sorte défie les tabous, notamment en faisant des autoportraits en « origine du monde ».
© Maisy Cousins.
Les inspiratrices de ces jeunes photographes femmes sont, entre autres, Francesca Woodman, Vanessa Beecroft, Valie Export, Ana Mendieta ou Carolee Schneemann. Il y a également, bien évidemment, la figure presque tutélaire de Cindy Sherman qui déconstruit par le grotesque, le dérisoire ou le décalage ironique les grandes représentations collectives qui façonnent l’image de la femme, des femmes, de leur propre conscience qu’elles ont d’elles-mêmes.
Très proche de Cindy Sherman, Andres Serrano procède suivant une méthode similaire qui consiste en représentant de manière très codifiée et académique ce qu’on considère comme des déviances ou tout du moins hors de la normalité, le sadisme, l’ondinisme, la vieillesse et la sexualité, les difformités physiques et ainsi de suite. La photographie de Serrano est très liée au corps, à la chair et au sexe au sein d’un univers intellectuel empruntant à la religion. Serrano est un photographe transgressif qui fait pourtant œuvre de moraliste, y compris quand il traite de la sexualité et du charnel en général.
Jenny Saville, la grande peintre anglaise, avec le concours du photographe Glen Luchford, a produit un livre photographique, Closes Contact, permettant d’apprécier sa perception des corps, dans une mise en forme systématiquement monumentale, presque baroque et aux antipodes des canons, notamment ceux concernant les femmes, mais aussi les hommes, les transsexuels. Son travail pictural a eu un impact très profond sur de nombreux photographes.
© Glen Luchford & Jenny Saville.
Sexe et autofiction photographique
Nobuyoshi Araki est quant à lui apparemment à l’opposé du travail des photographes abordés ci-dessus. En effet, les femmes d’Araki sont la plupart du temps réifiées, ligotées. Pourtant dans cette immense mythologie personnelle qu’est le travail d’Araki, ce qui domine en réalité est avant tout l’idée d’impermanence, de proximité de la mort et du sexe. Il ne faut pas oublier que la publication fondatrice de son travail, Voyage Sentimental (1971) trouve son origine dans l’accompagnement de sa femme, atteinte d’un cancer, vers la mort.
Auteur : Thierry Grizard
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