Pierre Bonnard et le japonisme
L’exposition — Bonnard et le Japon — à l’Hôtel de Caumont à Aix-En-Provence, donne l’occasion d’examiner l’influence du japonisme sur Pierre Bonnard.
Pierre Bonnard, éléments biographiques
Pierre Bonnard est né le 3 octobre 1867 à Fontenay-aux-Roses, près de Paris. Il a commencé ses études à la Faculté de droit de Paris en 1887, envisageant initialement une carrière de magistrat. Cependant, sa passion pour l’art l’a poussé à fréquenter simultanément l’Académie Julian et l’École des Beaux-Arts de Paris, où il a rencontré des artistes qui deviendraient des figures centrales de l’art moderne, tels que Paul Sérusier et Maurice Denis.
Inspiré par la visite de Paul Gauguin à l’Académie Julian, Bonnard devint l’un des membres fondateurs du groupe postimpressionniste des Nabis en 1888. Ce groupe cherchait à briser les conventions de la peinture naturaliste et à exprimer des émotions à travers des couleurs vives et des formes simplifiées. Les Nabis, influencés par le symbolisme et le cloisonnisme, ont joué un rôle déterminant dans l’évolution de Bonnard vers un style plus personnel et expressif.
Au tournant du siècle, Bonnard s’éloigne progressivement du style Nabi pour explorer des thèmes plus personnels et intimes, notamment des scènes de la vie quotidienne, des intérieurs domestiques, des nus et des paysages. Ses œuvres sont caractérisées par une palette lumineuse et une gestion subtile de la lumière et de l’espace, influencées par son intérêt pour la photographie et le cinéma.
Bonnard a également excellé dans la lithographie, créant des affiches et des illustrations qui reflètent son goût pour la satire légère et l’observation humoristique de la vie moderne. Ses collaborations avec des revues comme La Revue blanche ont renforcé son profil dans les cercles artistiques parisiens.
La rencontre de Bonnard avec Marthe de Méligny en 1893 a marqué un tournant dans sa vie et son art. Marthe, qui deviendrait plus tard sa femme, est devenue un sujet récurrent dans son œuvre, représentée souvent dans des scènes de bain ou dans des intérieurs intimistes. Leur relation complexe et parfois difficile a nourri l’œuvre de Bonnard, lui permettant d’explorer des thèmes de l’intimité, du temps qui passe et de la mémoire.
Au cours des premières décennies du XXe siècle, Bonnard a continué à peindre des œuvres qui combinaient les influences impressionnistes avec une approche plus libre et subjective. Il a été reconnu pour son utilisation unique de la couleur et de la lumière, qui a semblé préfigurer certains aspects de l’art abstrait.
Après la Seconde Guerre mondiale, la santé de Bonnard décline et il se retire à Le Cannet, dans le sud de la France, où il continue à travailler jusqu’à sa mort le 23 janvier 1947. Son héritage perdure à travers des œuvres qui capturent un monde intime et personnel, offrant une fenêtre sur l’évolution de l’art moderne au début du XXe siècle.
Pierre Bonnard et l’influence du japonisme
L’influence du japonisme sur l’art occidental à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle a été profonde, transformant les perspectives artistiques de nombreux artistes européens, dont Pierre Bonnard. Cette fascination pour l’art japonais, en particulier l’estampe japonaise ou ukiyo-e, a eu un impact notable sur le style, la technique et les thèmes de Bonnard tout au long de sa carrière.
Bonnard, comme beaucoup de ses contemporains, fut introduit à l’art japonais grâce aux expositions universelles tenues à Paris, et plus particulièrement celle de 1889. Les œuvres d’artistes comme Hokusai, Hiroshige et Utamaro, avec leurs compositions audacieuses et leur utilisation novatrice de la couleur et de la forme, captivèrent Bonnard. Les estampes japonaises étaient non seulement artistiquement révélatrices mais aussi accessibles, se retrouvant dans les boutiques d’art et les collections privées à travers Paris.
Les estampes japonaises sont renommées pour leur approche non conventionnelle du cadrage et de la composition, souvent découpant des éléments de manière abrupte ou utilisant des angles de vue inhabituels. Bonnard a adopté cette technique, choisissant des cadrages qui offrent une vue fragmentée ou partiellement obstruée, donnant l’impression d’un instantané. Cet aspect peut être vu dans ses œuvres telles que Le Bain (1925), où la scène est vue d’en haut, avec une perspective étrangement plate et une composition qui évoque directement l’esthétique ukiyo-e.
L’approche des artistes japonais envers la couleur a également eu un impact significatif sur Bonnard. L’ukiyo-e est connu pour ses aplats de couleur audacieux et ses contours clairs, une méthode qui s’éloigne des nuances graduelles de l’ombre et de la lumière utilisées traditionnellement en Occident. Inspiré par cette palette vibrante et ces contrastes forts, Bonnard a développé un style où les couleurs lumineuses et saturées jouent un rôle central, souvent déployées de manière à accentuer l’émotion ou l’ambiance plutôt que la réalité objective.
L’art japonais a également influencé la manière dont Bonnard envisageait la perspective dans ses peintures. En rejetant les règles rigides de la perspective linéaire européenne, il a adopté une approche plus libre, inspirée par la perspective aplatie et parfois oblique de l’ukiyo-e. Cette technique est visible dans la manière dont Bonnard représente l’espace intérieur, où le plan du sol et les murs semblent parfois se plier de manière irréelle, créant un espace qui semble à la fois confiné et infini.
Enfin, l’influence de l’estampe japonaise se manifeste dans la narration visuelle de Bonnard. Les estampes japonaises ont souvent intégré des éléments de récits simultanés, où plusieurs actions ou moments sont représentés ensemble sur une seule surface. Bonnard a absorbé cette capacité à juxtaposer le temps et l’espace dans ses compositions, créant des scènes où le passé, le présent et le futur semblent coexister, enrichissant ainsi la texture narrative de ses œuvres.
L’influence du japonisme sur Pierre Bonnard a été une composante cruciale de son développement artistique, lui permettant de fusionner l’esthétique orientale avec la tradition picturale européenne. Cette synthèse a non seulement enrichi son propre art mais a également contribué à l’évolution plus large de la peinture moderne, où les frontières culturelles et artistiques ont été redéfinies. L’empreinte du Japon dans l’œuvre de Bonnard témoigne de la richesse interculturelle qui peut émerger quand les arts de différentes parties du monde se rencontrent et s’entrelacent.
Pour aller plus loin à propos de l’Ukiyo-e
Historique rapide de l’Ukiyo-e dans la culture japonaise
L’estampe japonaise, connue sous le nom d’ukiyo-e, qui signifie littéralement “images du monde flottant”, a émergé durant la période Edo (1603-1868) au Japon. Cette forme d’art est née de la culture urbaine et bourgeoise d’Edo (l’actuelle Tokyo), reflétant les intérêts et les divertissements des classes commerçantes.
Au début, les ukiyo-e étaient principalement des peintures monochromes (sumizuri-e), mais elles ont rapidement évolué vers des estampes nishiki-e, ou “images en brocart”, qui utilisent plusieurs blocs de bois pour créer des images polychromes. Ces estampes devenaient accessibles et populaires grâce à l’amélioration des techniques de gravure sur bois et à l’utilisation de pigments de couleur vifs, qui permettaient des productions en série.
Auteur : Thierry Grizard