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Dragon, entre le réel le sacré et la malédiction

Énigmatique le dragon stimule depuis des millénaires l’imagination, inspirée du réel son image rejoint les forces mythiques du Bien ou Mal.

Dragon, entre le réel le sacré et la malédiction

Des origines à l’imaginaire médiéval

Première partie

Une créature bien curieuse hante l’imagination populaire depuis des siècles, pour devenir l’un des monstres les plus remarquables des mythologies à travers l’Eurasie, le monde oriental et enfin l’Occident. Pourtant, l’ambiguïté d’une telle incarnation du grand serpent – tantôt céleste, tantôt chtonienne ou aquatique – enveloppée des forces naturelles à dompter, ne fut jamais vraiment saisie par la pensée européenne médiévale. Comme l’avait déjà expliqué Jacques le Goff, la culture cléricale profondément manichéenne réduit le symbole polyvalent, celui de destructeur et de fécondant à la fois, à un sens univoque. Ainsi, le dragon prendrait figurativement la place du Mal dans le combat éternel avec le Bien, en jouant un rôle saisissant dans les croyances, les légendes et conséquemment dans les arts.

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Jan Jonston, Historiae Naturalis : De Serpentibus et Draconibus Libri II, 1653. Athanasius Kircher, Mundus Subterraneus, 1665 : description d’un dragon.

À la recherche d’un modèle iconographique

La diversité morphologique des espèces de dragons, transmise par des textes et un large corpus d’images entre l’Orient et l’Occident, dévoile toutefois la contiguïté de leurs principaux aspects. Il y est donc souvent question d’une créature reptile dont la puissance demeure dans sa longue queue en pointe, laquelle comme d’un coup de fouet peut écraser tout ce qui se trouve sur son chemin. Son corps ailé couvert d’écailles s’envole dans l’air, en crachant parfois de sa gueule des flammes, le venin du dragon étant pourtant inoffensif. Ce qui est intéressant, ce que l’image d’un tel animal tantôt amphibie, tantôt seulement terrestre, dont l’ancêtre serait le serpent, est commun à de nombreuses cultures, datant des anciennes civilisations.

En admettant que la créativité humaine ne se forme jamais par elle-même, mais elle puise toujours, d’une manière ou d’une autre, aux sources d’inspiration diverses servant de modèle initial, nous revenons sur l’origine de cette figure mystérieuse évoluant au cours des millénaires. Le dragon fantastique, imaginé avec des griffes de lion, des ailes d’aigle et une queue de serpent, renvoie à un animal bien réel – un lézard d’une vingtaine de centimètres de long, lequel existe dans les forêts tropicales asiatiques, ses ailes lui permettant de planer. Donc, c’est un animal aussi petit que faible, comme l’on décrit dans une Histoire naturelle au XIXe siècle. À part cette seule espèce capable de voler, les varans géants font aussi penser aux dragons légendaires en raison de leur allure spécifique. Et, tel qu’il nous apparaît dans les arts visuels d’aujourd’hui, l’animal fabuleux vivifié notamment par de nombreuses animations cinématographiques, on en cherche la confirmation – picturale ou sculpturale – des origines.

Athanasius Kircher, Mundus Subterraneus, 1665 - description d’un dragon
Athanasius Kircher, Mundus Subterraneus, 1665 – description d’un dragon

Au berceau des civilisations

Tout d’abord, il faut constater qu’on ne dispose d’aucun exemple à caractère archétypique provenant des périodes paléolithique ou mésolithique. L’homme primitif – cueilleur-chasseur tourné vers la nature, laquelle fut apparemment pour lui une traduction de l’Au-delà, l’art pariétal nous renvoie aux différentes figurations zoomorphiques, réalistes ou schématisées, attachées à un chamanisme, mais comprenant toujours « un certain ordre naturel des choses ». En revanche, on observe un développement progressif de l’imaginaire dès le Néolithique. Une découverte singulière attire tout particulièrement notre attention, car elle s’inscrit en quelque sorte à notre recherche typologique du dragon. Le site prénéolithique de Göbekli Tepe en Turquie – le plus ancien temple de l’humanité datant d’entre 9 300 et 7 500 avant notre ère – contient, parmi plusieurs monolithes aux reliefs du style animalier creusés dans la surface plate des piliers, un haut-relief assez frappant du point de vue iconographique et formel, d’autant plus qu’il s’approche d’une sculpture en ronde-bosse. Une créature reptilienne descendant sur le côté d’un pilier mégalithique en forme de T, témoigne d’une véritable maîtrise sculpturale. Son originalité se traduit non seulement par son élaboration formelle déjà d’un certain niveau artistique, mais aussi par le choix et la disposition du thème, figurant une espèce de lézard farouche. Cependant, les croyances de l’époque préhistorique restant obscures, il est impossible d’expliquer sa présence dans un contexte rituel.

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Göbekli Tepe, 12 000 – 10 000 BP (cf. Schmidt 2015).

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