Gilbert Garcin, jeune photographe retraité du dérisoire

Gilbert Garcin un jeune artiste photographe de 60 ans et plus
Gilbert Garcin, photographe reconnu des amateurs et assez populaire, quoique beaucoup en ignore le nom tout en reconnaissant ses images, s’est éteint, dans son sommeil, à l’âge de 91 ans, le 17 avril 2020, à Marseille.

Gilbert Garcin l’artiste autodidacte
Gilbert Garcin est une singularité dans le monde des arts visuels. Le photographe provençal était à la fois un jeune artiste et un homme âgé lorsqu’il s’engagea, par accident, dans la création photographique. En effet, alors qu’il pensait vouer sa retraite à la pêche et au repos après une carrière d’entrepreneur dans la vente de luminaires, il se lança, voulant occuper ses journées, dans l’apprentissage de la photographie.
Il s’inscrivit donc quelques mois après avoir mis un terme à sa vie professionnelle dans un club-photo. Il se prit de passion pour ce médium. Eprouvant le besoin d’améliorer sa technique il participa en 1995, lors des Rencontres d’Arles, à un stage d’été, sous la direction de Pascal Dolémieux. Le voici lancé dans une aventure qui l’occupera durant une trentaine d’années.
Cette succincte biographie permet de situer, en partie, l’originalité du travail du sémillant débutant tardif.
Une œuvre photographique non conforme
En inaugurant une deuxième carrière artistique, ainsi qu’il le soulignait lui-même, Gilbert Garcin, échappa aux académismes. Qu’il s’agisse de celui des photographes professionnels ou des plasticiens contemporains. C’est une des caractéristiques les plus évidentes que de dire de son travail qu’il est hors des modes dominantes. Il y a chez lui comme une allure d’art naïf sinon brute dans sa démarche. Mais ce facteur Cheval là, est tout sauf candide, bien au contraire il est pétri de culture et ne dédaigne pas la raillerie. Le creuset de la production de Gilbert Garcin n’est tout simplement pas du même moule que ce qui conduit une part importante de la création plastique contemporaine. Elle n’est pas pour autant marginale, ou d’ordre moindre.

Humour et gags visuels
Les influences qui ont guidé le travail de Gilbert Garcin reposent, entre autres sources d’inspiration, sur un terreau à la fois populaire et classique. La filiation la plus marquante et assumée du photographe, tout du moins au début des photomontages, n’est autre que celle de Jacques Tati. Dans les premières pièces il allait jusqu’à emprunter pour son propre personnage les atours de monsieur Hulot, le bob sur la tête et l’imperméable défraîchi de surcroît. Il ne se contentait pas d’habiller ses héros existentialistes, lui-même et sa femme Monique, à la manière du personnage de Trafic, il reprenait également les codes visuels du cinéaste. C’est-à-dire un formalisme moderniste dans les compositions visuelles, mais aussi une manière de minimalisme expressif. Comme Jacques Tati, qui réduit le plan à un gag visuel, Gilbert Garcin concentre ses agencements autour d’une idée visuelle fonctionnant comme un aphorisme illustré.
Il y a évidemment d’autres influences prégnantes dans l’œuvre de Gilbert Garcin, notamment le surréalisme, mais de manière assez extérieure et formelle, si ce n’est la référence limpide aux associations libres de Magritte. Le futurisme et les collages dadaïstes sont également conviés pour leur puissance de collisions sémiotiques et visuelles.
Néanmoins, l’artiste précisait, lui-même, que le but de sa démarche était, avant tout, de susciter la réflexion tout en demeurant accessible au plus grand nombre. Une idée, une image, ainsi qu’une forme de réflexion universelle et humble sur le cours de l’existence, (voir notre dossier sur la photographie et les jeux de mots visuels).
Les collages de Gilbert Garcin, qui pourraient passer, aux yeux de certains, pour datés, voire dépassés, ont tous pour sujets, le temps qui passe, les pitreries du moi, la vanité des artistes et de tout un chacun, les difficultés de partager sa vie avec un autre.

Reduction, illusionnisme et modestie de Gilbert Garcin
La modestie de l’approche de Gilbert Garcin envers ces sujets, pourtant graves, se dévoile par recours systématique au dérisoire, ce qui colore la noirceur du propos d’un ton léger et décalé, voire potache. Les mises en scènes du marseillais sont telles des vanités drôlatiques, qui refusent l’ironie si spécifique de l’art contemporain (voir nos articles sur l’ironie dans l’art contemporain), comme son goût parfois complaisant pour le tragique ou le sordide.
On évoque évidemment Samuel Beckett à propos du travail de l’artiste. En effet, il partage avec l’un des représentants les plus significatifs de l’existentialisme, le goût pour l’absurde et le ridicule, ainsi que l’économie de moyen, la réduction formelle et signifiante. Le trait visuel est constamment fragilisé par l’humour, jamais appesanti par le sarcasme ou l’ironie qui comporte toujours sa part de mépris.
Le réduction formelle de Gilbert Garcin n’a, par conséquent, rien d’un minimalisme conceptuel. Il n’y a pas de retour critique explicite sur le médium, le sens, les signes. A l’inverse d’un Thomas Demand (voir notre article sur Thomas Demand), qui lui aussi procède par saynètes, l’artiste provençal ne met pas en jeu la nature même de l’image photographique, de son référent. Pourtant, il en est parfaitement avisé et utilise l’illusionnisme en pleine conscience des ambiguïtés du médium (voir nos articles sur la photographie objective). Le metteur en scène marseillais joue avec délectation d’une manière de « trompe l’œil photographique» en manipulant les échelles, en « dirigeant » des silhouettes découpées tels de véritables acteurs, en échantillonnant, à l’instar d’un sampling purement « analogique » des matériaux hétérogènes, des images d’images, le pictural et le photographique. Par ailleurs, les titres des clichés de Gilbert Garcin attestent de la pratique constante de la disruption sémiotique et visuelle.

L’art pauvre
L’économie de moyens est à entendre chez le plasticien « autodidacte », plus que le photographe, au sens littéral. En effet, Gilbert Garcin a opté pour des moyens d’expression dignes de l’Arte Povera sans néanmoins l’appareil critique qui caractérise ce mouvement esthétique.
L’artiste marseillais procédait pour réaliser ses images à la réalisation de petits théâtres, sinon de la cruauté (la difficulté à être, à exister, cf. Antonin Artaud), quoique la filiation ne soit pas totalement incongrue, tout du moins de la dérision. Dans son cagibi du jardin il montait de toutes pièces des mises en scène qu’il photographiait ensuite, à l’instar de Cindy Sherman, avec qui il partage plus de points communs qu’on le supposerait de prime abord (voir notre article sur Cindy Sherman). Gilbert Garcin construisait donc, dans sa modeste cabane, des pièces où lui et sa femme jouent les rôles uniques et principaux. Sur un établi, il assemblait des figurines découpées les représentant. Il accessoirisait l’ensemble, éclairait avec des moyens rudimentaires, tapissait le plan de l’établi, faisant office de sol, de sable collecté à La Ciotat. Il projetait des fonds de ciels prélevés depuis des photographies personnelles de vacances ou des clichés pris de tableaux qu’il avait pu croiser dans les musées. Il allait jusqu’à dérégler son projecteur de diapositive afin d’estomper le caractère trop graphique des cieux picturaux qu’il avait empruntés à des artistes canoniques. Gilbert Garcin était un partisan obstiné du « Low Tech », cela lui paraissait être la meilleure voie vers la concentration de l’idée sur elle-même. En réduisant graphiquement les informations visuelles et en simplifiant à l’extrême les moyens techniques, (pas de grosse artillerie de studio, ni de recours aux pixels), Gilbert Garcin s’assurait de ne déployer dans une image (photographique) qu’une et une seule idée. La concision de l’aphorisme visuel supposait pour lui la raréfaction des moyens et des outils.
Le photographe travaillait longuement et patiemment et produisit finalement moins de 300 photomontages, hormis les très nombreux qu’il détruisit. La similitude avec un théâtre beckettien de poche est donc frappante. Gilbert Garcin c’est un peu Godot dont le couple, sous forme de marionnettes pitoyables, est la proie oublieuse.

Le Noir et Blanc et ses charmes
Gilbert Garcin dans son désir de concentrer l’expression visuelle autour d’une seule idée a préféré, à la photographie couleur, le noir et blanc. Il justifiait précisément son choix en faisant remarquer que la couleur est plus proche de la réalité sensible, qu’elle simule mieux le réel, qu’elle amène au regard une quantité de détails susceptibles de disperser l’attention.
Le noir et blanc produit des formes plus qu’il ne reproduit, il dramatise et concentre. Il est également plus propice à dévoiler des dynamiques visuelles. C’est un autre trait dominant du travail du photographe plasticien que de construire des scènes presque toujours en mouvement où le déplacement des personnages, à l’instar de marionnettes du destin, est pris dans des circuits plus amples, des lignes, des engrenages existentiels qui emportent les effigies du couple symboliques dans les méandres du temps et des passions.
Le théâtre de la dérision « Garcinien » est néanmoins constamment empreint de tendresse pour ses victimes. Le désespoir demeure aussi léger que l’existence parait insignifiante dans sa fragilité.


Repères biographiques :
- 1929 Naissance à La Ciotat (Bouches-du-Rhône). Gilbert Garcin vivait et travaillait à Marseille.
- 1992 Stage de photo aux Rencontres d’Arles.
- 1998 Participation au festival Encontros da Imagem, Portugal. A cette occasion Christine Ollier, alors directrice de la galerie Les Filles du Calvaire, l’expose à Paris Photo.
- 2013 Rétrospective aux Rencontres d’Arles.
- 17 avril 2020, mort à Marseille.
Collections (sélection) :
- Maison Européenne de la Photographie (Paris).
- Fonds National pour l’Art Contemporain (Paris).
- Veendam Artotheque (Pays-Bas).
- West Collection (Philadelphie).
- Titze Collection (Vienne/Autriche).
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- Courtesy Galerie Camera Obscura