Sara Punt photographier et sculpter les corps

Sara Punt est une jeune photographe néerlandaise qui appréhende la photographie comme une chorégraphie qui sculpte et stylise les corps.

Sara Punt photographier et sculpter les corps

Sara Punt. Danse, stylisme et photographie !

Sara Punt (née en 1994 aux Pays-Bas) confie dans un entretien avoir voulu dès son plus jeune âge se consacrer à la danse. Elle dû renoncer. Alors qu’elle considérait l’expression corporelle et la plasticité des corps chorégraphiés comme essentielles elle s’orienta vers une formation de styliste. De son propre aveu elle se montra peu douée pour cette spécialité tant son désir n’était pas de revêtir les corps, de les masquer mais bien au contraire de les dénuder. Abandonnant cette formation, sous l’influence de proches pratiquant la photographie, elle se lança avec passion et audace dans l’étude photographique des corps.

Une photographie de nus féminins principalement qui s’efforce de s’extirper de l’érotisation des corps pour ne retenir que la plasticité abordée comme le ferait un sculpteur ou un styliste. Sara Punt appréhende les corps qui se prêtent au jeu (on verra la dimension d’échange) de manière parcellaire comme une figure de dense qui dessine un mouvement, un rythme ou une forme. C’est ainsi que nombre de clichés sont sans tête et plus souvent encore sans visage. Les tissus, étoffes ou rubans de papier sont utilisés pour mieux souligner une forme ou un mouvement plus qu’une pose, ou un geste. Le stylisme fait un étrange retour pour encore mieux dénuder les corps.

L’approche de Sara Punt rappelle évidemment les nus de Bill Brandt qui lui-même s’inspirait de la sculpture, notamment celle de Henry Moore. La similitude est frappante en particulier avec les « Abstract Nudes » du photographe anglais. On pense également à la série des « Earthly Bodies » des années 1949 et 1950 de Irving Penn.

© Sara Punt.

Sara Punt se distingue néanmoins par une plus grande abstraction, une sensualité très atténuée, aucune référence explicite à des sculpteurs ou peintres classiques ou modernes. Sara Punt par désir probable de ne retenir que les lignes et formes, surexpose ou teinte les peaux, polit les épidermes. Il n’y a donc pas l’érotisme puissant de Bill Brandt ou les chairs généreuses, presque chtoniennes et identifiables d’Irving Penn.

Inversement, Sara Punt, dans sa proximité non érotisée des corps, présente des affinités certaines avec une peintre au talent immense, Jenny Saville, qui tente à toute force de sortir des canons classiques et contemporains, des diktats de la mode, de l’injonction de « bonne » santé, de la bien-pensance des corps et des individus qui s’efforcent de trouver un lien harmonieux. Un corps qui ne soit pas une « persona », un masque, une parure, mais un lien solide et plein.

L’autre particularité de la photographe néerlandaise est d’aborder les séances de pose comme une forme douce d’happening. Elle déclare que les prises de vue se font dans une collaboration étroite et intime, très éloignée de toute forme d’érotisation, plutôt dans un effort pour faire parler ce corps là, dans sa singularité, hors des tous regards extérieurs.

En ceci Sara Punt pourrait relever des photographes qui, dans une filiation plus ou moins délibérée à Fluxus, font de la photo une action ou la mise en acte visuel d’une idée. C’est le cas de photographes tels que Ren Hang, Pixy Liao, Elina Brotherus, Polly Penrose ou bien entendu Francesca Woodman et Ana Mendieta. Pourtant Sara Punt ne délivre dans ses images aucune idée préconçue, fruit d’un protocole ou procédé. Elle joue cependant bien une Partition exactement comme souhaitaient le faire les artistes se proclamant de Fluxus. Ce n’est pas néanmoins une partition relevant d’un programme plus général, comme dans le cas de Fluxus : rapprocher l’art de la vie, mais celle d’une danse à deux où le corps du modèle est la matière qui est travaillée à travers une mise en rapport physique et chorégraphique avec le photographe qui, ici, n’observe pas mais cadre, morcelle, met en perspective un corps exactement comme Jenny Saville le fait avec ses modèles. Chez Sara Punt, à l’opposé de Jenny Saville, il n’y a aucune monumentalité sculpturale des corps mais bien plutôt une forme d’intimité, une proximité incarnée sinon sensuelle.

L’échelle des « figures » de Sara Punt est celle de la sensibilité et non pas la mise en forme sculpturale de Saville, de Bill Brandt, de Lucian Freud ou de Henry Moore. Sara Punt sculpte et découpe à l’aune, l’échelle, d’une réelle proximité, celle d’une chorégraphie ou d’un styliste qui retouche sa création à même le mannequin.

© Sara Punt.


Références :

Irving Penn. Nudes. 1950.

Bill Brandt. Abstract Nude.

Citations :

« My goal is to re-sculpt the way we view and experience our bodies; to become an observer of ourselves, instead of being consumed by the body you’re in and people’s surrounding opinions.I truly believe that when we start looking at ourselves as a work of art, as a sculpture, we would treat ourselves with much more kindness, and in doing so, it will result in more understanding and empathy for the world and the ones around us. Imagine looking at your body the way you look at a painting on your wall. »

« I want to challenge the viewer, as well as myself, to transform the way we perceive and experience our human form. »

  • Entretien avec Sara Punt, par Linda Zhengová, pour Gup New .

Le site de l’artiste